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2008年9月9日 12時26分 [WEB担当]

2008年度春季大会講演

講演

Une autre Grammaire du sens. Intonation, geste et morphosyntaxe.

Mary-Annick MOREL – Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle

L’analyse de deux extraits (audio, puis vidéo) permettra d’illustrer la théorie de la coénonciation / colocution / formulation, développée par Morel & Danon-Boileau depuis 1998.

Le premier extrait illustre les anticipations faites par le parleur sur la réception du sens de son discours, telles que repérables dans la forme mélodique et dans la structure morphosyntaxique.

Dans un débat télévisé sur « la langue française », animé par F. Ferney, qui s’adresse à Alain Rey, pour la nouvelle édition du Grand Robert, le meneur de débat se construit une double représentation du coénonciateur : 1) à partir du participant physiquement présent sur le plateau, dont il s’est forgé préalablement une image, 2) mais par delà le plateau il se représente aussi l’image d’un coénonciateur distinct (les auditeurs extérieurs), dont il anticipe les attentes et les réactions. Le meneur de débat est par définition maître de la colocution : il gère le droit à la parole de chacun. Mais, là aussi, on observe une dissymétrie : 1) seul le coénonciateur présent est construit en colocuteur légitime, 2) le coénonciateur extérieur est par essence voué à se taire. Or F. Ferney manifeste dans la forme intonative et morphosyntaxique de son discours qu’il privilégie les coénonciateurs extérieurs, dont il sait qu’ils ne sont pas colocuteurs. Sa stratégie consiste donc à mettre en quelque sorte « sur des rails » son invité, en présentant son interprétation de la position de ce dernier et en clôturant l’ensemble par une mélodie descendante, indice de son positionnement égocentré.

FF§1 vous Alain Rey oh j’avoue qu’ c’est vous le plus optimiste puisque vous vous dites en gros si le français est en crise en danger {30} c’est la preuve que c’est une langue vivante {40}

L’invité Alain Rey répond en intégrant les propos du meneur de débat et ceux qu’il prête aux autres invités, en produisant donc un préambule très décondensé, dont les différents constituants se terminent par une mélodie montante, témoignant ainsi de son anticipation de consensus et du forçage coénonciatif qu’il impose, pour retrouver son statut d’énonciateur de plein droit.

AR§2 oui parce que j’pense que il y a y a deux sortes de langues les langues mala:des: qui sont: {50} c’est la preuve que c’est un organisme vivant et puis les langues mo:::rtes donc j’ préfère nett(e)ment {30} la première situation à la deuxième {40} et j’suis quand même frappé + d’entendre dans à peu près toutes les réponses {40} + une hypothèse qui n’est pas la mienne qu’i’ y a l’anglais et qu’i’ y a le français {40} &FF : mm&

Le deuxième extrait met en lumière l’enrichissement qu’apporte la mimique-gestuelle à la construction du sens dans le dialogue. Deux étudiants discutent sur le thème « l’ordinateur va-t-il tuer le livre ? ». François manifeste ses craintes vis-à-vis de l’ordinateur et vante les avantages du livre.

4F- [un bouquin e: c’est {120} c’est que’que chose que : {35} auquel tu tu t’référes souvent:: ‘fin §mm§] tu tu::: {75} tu ouvres le livre c’est vrai que moi pour moi un ordinateur c’est ::::: {130}

5C- c’est juste un outil d’ travail e::: à l’école

6F- c’est un outil d’travail mais {60} c’est d’l’abstrait quoi c’est pas du concret

Alors qu’il ne parvient pas à trouver les qualifications adéquates pour expliquer les qualités majeures du livre (répétition de « tu tu »), le regard de François est dirigé vers le bas. Les paumes de ses deux mains, posées sur les genoux, s’ouvrent un peu vers l’extérieur. Les deux côtés des mains se touchent, paumes vers le haut, matérialisant ainsi un livre ouvert, sur lequel se fixe son regard juste avant qu’il ne dise « tu ouvres le livre ». Le retour du regard vers l’écouteur au tout début de « c’est vrai que... » s’accompagne d’une continuation modifiée du geste. Les mains s’élèvent un peu, puis elles s’écartent, se tournent à la verticale et se positionnent face à sa poitrine, localisant ainsi le point de vue engagé, au moment où il dit « moi pour moi ». Avant la production de « un ordinateur », elles se remettent en mouvement, l’index tendu à l’horizontale : la main gauche descend juste au dessus des genoux, alors que la main droite s’élève à la hauteur du menton, les deux mains délimitant ainsi de façon métonymique un écran vertical, sur lequel le regard se dirige alors. Avant le marqueur de rhème « c’est », qui ne sera suivi d’aucun contenu, la main droite continue son mouvement vers le haut, au niveau de la tempe, doigts tendus, en esquissant une demi-rotation, interprétable comme un processus lié à la pensée.

Face à ce manque de mot, l’écouteur, Charles, propose une interprétation des gestes des mains, « c’est juste un outil d’travail e », ce qui provoque le retour du regard de François. Puis la main droite revient sur les genoux et les index des deux mains se frottent l’un contre l’autre, lors de la reprise par François « c’est un outil de travail ». Cette concession, pendant laquelle il maintient son regard sur l’écouteur, est suivi d’un contre-argument « mais c’est d’l’abstrait », accompagné d’un mouvement comparable au précédent : l’index droit pointé vers le haut avec un petit moulinet en direction de la tempe. Pour finir les deux mains se rejoignent et s’ouvrent au-dessus des genoux, comme pour offrir cette formulation imparfaite.

Les variations mélodiques enrichissent donc la compréhension de l’attitude du parleur à l’égard de ceux auxquels il s’adresse. Si une descente mélodique traduit une contrainte exercée pour imposer son point de vue égocentré, une succession de montées mélodiques accompagnent au contraire une opération de récupération de la maîtrise de la coénonciation et de la colocution.

De la même manière, loin de constituer un simple accompagnement du discours, les gestes effectués avec les mains, en relation avec la direction du regard, ont un rôle spécifique, qui ne peut pas être réalisé avec les mots, et que ne peut pas jouer non plus l’intonation. Ils suppléent à ce qui n’est pas dit. Au caractère concret du livre qu’il est possible d’ouvrir pour le lire, s’opposent ainsi les propriétés immatérielles de l’ordinateur visualisées sur un écran, mais localisées dans le cerveau, dans le « virtuel » (le mot ne sera exprimé par François que plus tard dans le dialogue).

Bibliographie
Bouvet, D., Morel, M.-A. (2002), Le ballet et la musique de la parole. Le geste et l’intonation dans le dialogue oral en français, Paris-Gap, Ophrys, Bibliothèque de Faits de Langues.

Conway Asa (2005), Le paragraphe oral en français L1, en suédois L1 et en français L2. Etude syntaxique, prosodique et discursive, Lunds Universitet, Etudes Romanes de Lund 73.

Danon-Boileau, L., Morel, M.-A. (2003), « Le locuteur vicariant », in Le sujet, J.-M. Merle coord., Paris-Gap, Ophrys, Bibliothèque de Faits de Langues.

Hascoët, N. (2005), Le geste et l’intonation à l’oral spontané: une étude de cas, Thèse de Doctorat, Paris 5 – René Descartes, dir. L. Danon-Boileau.

Magro, E.-P. (2005), « Disfluency markers and their facial and gestural correlates. Preliminary observations on a dialogue in French », Proceedings of DISS’05, Disfluency in Spontaneous Speech Workshop, 10-12 septembre 2005, Aix-en-Provence.

Morel, M.-A., Danon-Boileau L. (1998), Grammaire de l’intonation. L’exemple du français oral, Paris-Gap, Ophrys, Bibliothèque de Faits de Langues.

Morel, M.-A. (2007), « La reformulation dans le dialogue finalisé en français. Propriétés intonatives et mimico-gestuelles », Recherches Linguistiques n°29, Mohammed Kara coord., « Usages et analyses de la reformulation » : 123-144.

Nakahara, M. Morel, M.-A. (2005), « Intonation, mimique-gestuelle et morphosyntaxe dans un dialogue en français entre une Japonaise et une Française. Modifications après un an de séjour en France », in M. Faraco resp., La classe de langue : pratiques, méthodes et théories, Presses Universitaires de Provence : 285-306.